4 Questions à Sugeeta Fribourg

Publié le par Sugeeta Fribourg

L'Avant-Scène Opéra
hors série  n° 9  janvier 2004

Vous avez une longue expérience de travail en musique avec les enfants. Comment ce Jeune public écoute un opéra ?
Il y a quelques temps, l'Opéra de Nice m'a proposé d'animer un atelier d'écriture, dans le cadre scolaire, pour écrire un opéra avec des enfants d'une dizaine d'années. Le premier contact avec les enfants m'avait laissé un goût amer. La fréquentation assidue et passive de la télé avait commencé son oeuvre. Témoin désespéré de ce massacre, je me demandais bien comment j'allais les soustraire aux mains perfides de cette ogresse !!! Puis, au fil des séances de travail, ne se sentant ni jugés ni évalués, les enfants ont pris confiance. J'ai assisté avec ravissement, à la reconquête d'une imagination égarée, à l'émergence d'un vent de créativité affranchi des rituels clichés.
Il y a douze ans, lorsque j'ai écrit mon premier livret d'opéra, j'abordais cette nouvelle expérience animée d'une joie d'où émergeait une sourde aprèhension. Jusque-là, je n'avais travaillé que sur des textes destinés aux adultes, pour le cinéma.
Comment allais-je proposer aux enfants une parole authentique sans tomber dans le piège de la miévrerie ordinaire ? On m'avait commandé un livret "éducatif". Le terme ne me plaisait guère, car étant d'une nature rebelle, j'ai toujours détesté l'école où je m'ennuyais ferme. J'ai contourné l'obstacle en écrivant un conte philosophique écolo : 
L'esprit de la forêt.


Qu'avez-vous ressenti en écoutant votre livret chanté ?
Entendre chanter pour la première fois un texte que l'on écrit, procure une jubilation unique en son genre, c'est un prodigieux cadeau de la vie. Etre témoin de l'émerveillement des enfants qui bien souvent entendent pour la première fois des voix lyriques chantées "sans micro" en est une autre, tout aussi savoureux. Etre iconoclaste en matière de culture risque de devenir une utopie, un combat de plus en plus inégal, face à cette prédatrice des esprits, la télévision. L'enfant est un consommateur potentiel idéal. Ingèrant cette culture soporifique, fabriquée à grand prix, il risque de perdre son esprit critique, son âme, si on ne lui propose pas, de temps en temps, une escapade rafraichîssante, hors des sentiers battus.


Comment tout cela a-t-il commencé ?
C'est dans cette humeur joyeusement frondeuse, qu'il y a dix ans je me suis embarquée dans la création d'opéra pour le jeune public, en prenant la direction de la Compagnie du Tabouret.
En 1995, j'avais monté deux opéras L'esprit de la forêt (musique de Pascal Diez) et le dormeur éveillé (musique de François Bou), et j'avais la ferme intention d'en créer un autre l'année suivante. J'avais découvert Le Géant égoïste, ce joli conte d'Oscar Wilde qui m'était apparu idéal pour une adaptation en vue d'un opéra pour enfants.
Un lieu unique, une thématique fondée sur l'enfermement du géant, les personnages allégoriques des saisons : tous ces éléments concouraient à former un univers poétique et humoristique.
Dans la vie comme dans la création, tout est affaire de rencontres, de hasards, de bonne et mauvaise fortune.
Pour trouver un nouveau compositeur, je suis allée au centre de documentation de la musique contemporaine, où l'on peut écouter à loisir des oeuvres contemporaines. J'étais à la recherche d'une esthétique musicale élégante, poétique et humoristique. Je dois reconnaître que sans l'aide de Corinne Monceau, précieuse documentaliste, qui a su si bien orienter mes recherches, j'aurais eu du mal à trouver l'oiseau rare. Gérard Condé faisait partie de ceux qui correspondaient à ces critères... Par la suite, j'ai appris qu'il avait vu mes deux premiers spectacles avec son petit garçon, et qu'il attendait une opportunité pour écrire un opéra.


Comment avez-vous travaillé sur le livret de la Chouette enrhumée ?
J'ai entièrement réécrit le conte d'Oscar Wilde. L'ogre est devenu le Grand Moa. Les personnages de la Chouette, et de Pépé Poussière n'existaient pas dans le conte original. Ils devaient incarner la conscience et le miroir du Grand Moa. Et puis une Chouette très enrhumée... parce que la conscience de Grand Moa est plutôt grippée !!! Ce qui a donné lieu au nouveau titre.
J'ai préféré changer la fin qui dérapait dans un lyrisme teinté d'un fort sentiment chrétien. Le Christ est un personnage d'une humanité prodigieuse, animé d'une rare compassion, mais lorsqu'on s'adresse aux enfants, je crois qu'il est préférable de se situer sur un plan plus universel.
Quand j'écris un livret, je donne priorité à la structure dramatique, aux ruptures d'ambiance et de sentiments. C'est le meilleur atout pour que le compositeur puisse s'exprimer librement.
Au début de notre collaboration, Gérard Condé craignait que le texte fut trop difficile pour les petits. Dés mon premier livret, j'avais pris le parti de ne pas tomber dans le piège de la facilité et le temps m'a convaincu du bien fondé de cette intuition. Si la mise en scène est claire et ludique, les jeunes spectateurs entrent dans l'opéra comme des poissons dans l'eau.
Au fil des années j'ai eu le bonheur de constater qu'il n'est jamais trop tôt pour faire de la philosophie avec les enfants.

Publié dans SUGEETA FRIBOURG

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